Stéphane Da Silva, ingénieur-conseil à la Cramif, présente les chiffres de la sinistralité du secteur des Ehpad et les enjeux qui en découlent.

 Stéphane Da Silva – ingénieur conseil, pilote secteur sanitaire et médico-social (SMS) - Cramif

Je vais commencer la première intervention sur la prévention des risques professionnels en Ehpad. J’ai très peu de temps, mais je vais essayer d’être assez synthétique pour au moins que vous sortiez d’ici avec quelques éléments, quelques chiffres vraiment assez simples.
Pour commencer au niveau de la sinistralité, ce qu’il faut retenir, c’est qu’un accident du travail avec arrêt en France, c’est dans le secteur sanitaire et médico-social. C’est ce qui est indiqué en haut à gauche. Ici, je vous ai mis un petit peu les différents secteurs d’activité, que ce soit les cliniques, les Ehpad, l’aide à domicile, le handicap, et j’ai mis aussi le secteur du BTP pour que vous compariez.

Le secteur des Ehpad, on a un indice de fréquence, c’est-à-dire, c’est le nombre d’accidents du travail avec arrêt pour 1 000 salariés qui est de 100, c’est-à-dire qu’il y a 100 accidents avec arrêt pour 1 000 salariés dans les Ehpad. C’est-à-dire, c’est 10 % de vos effectifs dans les Ehpad qui seront en arrêt de travail. C’est énorme. Si on le compare au secteur du BTP, il y a un indice de fréquence de 48, il est deux fois moins important. Il y a deux fois moins de risques d’avoir un accident dans le BTP que dans les Ehpad.
Concernant le taux de gravité, qui est le nombre de jours d’arrêt par millions d’heures travaillées, vous voyez que dans le secteur des Ehpad, il est de 4,3, soit près de trois fois supérieur à tout secteur confondu, qui est de 1,5 en France, et il est de près de deux fois supérieur au secteur du BTP. C’est juste pour vous donner quelques repères de quelques chiffres. Donc dans un Ehpad de 50-60 salariés, personnes, vous aurez malheureusement actuellement 10 %. Il y aura 5 à 6 accidents du travail avec arrêt.
Au niveau de l’Assurance Maladie, on a pointé certains programmes spécifiques dont la plupart d’entre vous connaissent, on en parlera juste un peu après. Il y a un programme ciblé TMS pro dans le secteur des Ehpad et un programme de risque chimique plutôt dans le secteur des hôpitaux et des cliniques.

Pour vous donner aussi un ordre de grandeur, ça équivaut à 9 500 équivalents temps pleins en arrêt de travail en France, c’est grosso modo 180 Ehpad fermés pour arrêt de travail. Voilà, je vous donne un peu cette tendance. Si je le compare au projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2023 qui prévoyait 3 000 postes, 2024 prévoit 6 000 postes. C’est juste pour vous mettre en adéquation ces chiffres, pour vous donner l’importance du nombre d’accidents de travail dans ce secteur.

Je ne vais pas rentrer dans le détail des principaux risques. Le premier risque d’accident du travail, ce sont les manutentions manuelles et notamment beaucoup d’accidents du travail liés à la mobilisation des résidents. Deuxième risque, c’est les chutes de plain-pied. Les deux principaux risques, ça représente plus de 85 % des accidents du travail avec arrêt. Je ne parle pas des maladies professionnelles qui sont à 98 % des infections périarticulaires, tableau des maladies professionnelles n° 57, et du nombre d’inaptitudes médicales qu’il y a dans le secteur des Ehpad.
Je ne vais pas vous parler de tous les enjeux, vous connaissez très bien les enjeux du secteur, mais c’était simplement pour vous faire part que la prévention des risques professionnels est vraiment un levier important dans notre secteur. C’est quoi la prévention des risques professionnels ? C’est vraiment l’ensemble des dispositions qui sont à mettre en œuvre pour préserver la santé et la sécurité du personnel, d’améliorer les conditions de travail et tendre au bien-être au travail. Comme vous le savez, il s’agit d’une obligation réglementaire qui s’impose à tous les employeurs, qu’ils soient publics ou privés, et dont les principes généraux sont bien inscrits dans le Code du travail. Tout ça s’inscrit dans une logique de responsabilité sociale des établissements qui vise à réduire les accidents du travail et les maladies professionnelles, et à en limiter les conséquences humaines, sociales et économiques.

Comme vous le savez, la prévention des risques professionnels est vraiment un enjeu majeur dans ce secteur-là. Elle nécessite, dans un premier lieu, un engagement et une volonté politique forte au sein même de l’établissement. Pour réussir au sein même de l’établissement, il faut vraiment une implication de tous. Donc, pour réussir à mettre en place une démarche performante et efficiente, c’est-à-dire que vous avez bien identifié les bonnes actions à mettre en œuvre pour être efficace, en réalisant notamment une bonne analyse initiale des situations de travail, toutes les personnes doivent être impliquées. Alors, chacun à son niveau dans l’établissement, que ce soit vous en tant que directeur, directeur adjoint, le personnel technique, le personnel soignant, les différents animateurs, vraiment toutes les personnes doivent être impliquées dans cette démarche de prévention. On doit aussi s’appuyer sur les compétences de chacun. Ça, c’est important, et croyez-moi qu’il y en a beaucoup dans notre secteur.

Cette démarche est guidée par les neuf principes généraux de prévention du Code du travail, qui introduisent une même démarche de prévention qui est applicable à tous les risques et permettent vraiment de guider les actions comme, par exemple, l’élimination des risques à la source ou favoriser les protections collectives aux protections individuelles ou bien d’adapter le travail à l’homme et non l’inverse, comme on peut le constater malheureusement encore dans de nombreux Ehpad que l’on visite alors qu’il existe des solutions techniques, organisationnelles et humaines.
Cette démarche, elle est guidée aussi par ce qu’on appelle des valeurs essentielles, c’est bien entendu le respect des personnes, la transparence dans la mise en œuvre de la démarche de prévention et des objectifs. Ça, c’est un point sur lequel on s’attache, nous, au niveau de la Cramif et des partenaires sociaux, et notamment aussi de favoriser le dialogue social au sein de vos établissements. Ça s’appuie aussi sur des règles de bonne pratique, vous en verrez un certain nombre aujourd’hui au cours de nos échanges.

Faire de la prévention, cela veut dire quoi ? C’est vraiment de parler du travail réel et quotidien des salariés des Ehpad, des situations concrètes et de toutes les difficultés qui sont vécues, en associant toutes les instances et les professionnels avec la finalité, bien entendu, de trouver des solutions qui vont améliorer les conditions de travail.
Concrètement, faire de la prévention, ça veut dire quoi ? C’est de mettre en place une démarche de prévention. Avant tout, il faut structurer la prévention au sein de vos Ehpad, c’est-à-dire de bien définir qui fait quoi, quelles sont les missions de chacun, quel est le temps alloué à la personne qui va s’occuper de prévention, comment vous allez vous organiser par des systèmes. Alors, vous avez soit des commissions, des Copil, des CSE, des CSSCT, ça dépend vraiment des structures au sein de vos établissements. Vraiment, c’est de vous poser, de bien structurer la prévention.

Donc, pour prévenir les risques professionnels dans les Ehpad, il faut aussi que l’ensemble des acteurs concernés s’organisent pour travailler ensemble. Une démarche de prévention doit donc être organisée et suivie, avec une hiérarchisation et une planification dans le temps des actions à conduire et avec une évaluation régulière de l’efficacité de ces actions.
Vous voyez, il y a quatre grandes étapes, on reviendra après sur aussi la démarche TMS pro. La première grande étape qui est bien entendu d’évaluer les risques professionnels dans l’établissement, c’est la première étape qui permet vraiment de faire un état des lieux et élaborer différents tableaux de bord qui vont vous permettre de piloter concrètement les actions. Il s’agit aussi de bien collecter toutes les données et les informations pour construire vraiment des indicateurs qui vont bien permettre d’évaluer ce que vous avez mis en place.
Deuxième point, deuxième étape, c’est de définir vos objectifs et vos priorités. Après avoir identifié tous les risques professionnels dans votre établissement, vous devez définir des objectifs. Pour cela, vous devez identifier les postes, les situations à risque, préciser vos priorités suivant les risques qui ont été identifiés. Vous ne pouvez pas vous attaquer à l’ensemble des postes, bien identifier, et hiérarchiser vos actions. D’informer aussi tous les salariés des Ehpad dès le début, leur implication est vraiment primordiale pour le succès des mesures de prévention qui vont être mises en œuvre.

Point important aussi, c’est de désigner une personne ou un groupe chargé de piloter la démarche et coordonner les différents acteurs. Enfin, concrètement, c’est mettre en place un plan d’action. Certaines situations de travail vont nécessiter un diagnostic un peu plus approfondi. Et là, vous pouvez vous appuyer sur différents services d’outils, justement, pour aller un peu plus loin et pour bien définir les actions à mettre en place.
Dernière grande étape, c’est d’évaluer les progrès qui ont été réalisés. Ça consiste à évaluer l’efficacité des actions engagées et pérenniser la démarche. Ce n’est pas parce qu’on a fini la dernière étape, c’est un processus continu.
Bien entendu, vous allez me dire : « oui, c’est du temps, c’est beaucoup de temps, on a très peu de temps dans notre secteur ». Mais ce temps qui est consacré vraiment à la prévention, c’est du temps à gagner à ne pas résoudre les problèmes qui risquent d’arriver et que vous aurez à gérer par la suite. Ça, c’est important.
Ce que l’on constate aussi souvent, c’est que ce sont des projets qui permettent de ressouder les collectifs de travail sur le cœur du métier, avec les résidents au centre des préoccupations. On a pu constater, nous, au niveau de la Cramif, des résultats assez significatifs dans les établissements qui se sont structurés en prévention, qui ont vraiment engagé des démarches de prévention. On verra au cours de notre journée les différents témoignages qui vous le prouveront.

Quelques points rapides sur le secteur. Ce qui est important, c’est aussi de monter en compétence le secteur des Ehpad. Il existe un dispositif de formation sectorielle qui a été développé par l’INRS et par le SINERPA, avec une formation, je pense qu’il y a beaucoup d’entre vous qui avez déjà suivi cette formation, pour les directeurs d’une journée pour bien comprendre les enjeux et pour l’animateur de prévention de six jours sur le secteur sanitaire médico-social, qui va vous donner vraiment la méthodologie et l’approche à mettre en œuvre.
On insiste aussi sur les formations acteurs PRAP2S, prévention des risques liés aux activités physiques du secteur sanitaire et médico-social. Ce sont des formations à destination de tous les salariés pour vraiment leur donner les bonnes méthodes, faire de la prévention au quotidien. Donc, on insiste vraiment quand on fait des visites, on vous en parle assez souvent d’essayer de former tous les acteurs pour que l’alchimie fonctionne et que cette démarche de prévention puisse avancer.

Deuxième point important, vous avez vu qu’il y a un certain nombre d’accidents du travail, donc il existe des formations pour analyser les accidents du travail. Je vous invite vraiment à venir, notamment à la Cramif ou auprès des caisses pour les régions, il y a des formations qui sont proposées pour analyser un accident du travail. Il y a toute une démarche et une méthodologie bien précise. L’objectif, bien entendu, c’est d’éviter le renouvellement des accidents du travail, donc n’hésitez pas à vous inscrire sur notre site Internet.

Point important aussi, vous avez un grand nombre d’équipements d’aides techniques dans les Ehpad. On constate, nous, avec les équipes d’ingénieur-conseil et contrôleur de sécurité de la Cramif, qu’il y a un certain nombre d’équipements qui ne sont pas utilisés, qui sont même encore emballés. Encore la semaine dernière, lors d’une visite, j’ai vu un beau siège-douche électrique dans une grande salle de bain commune, mais que personne n’utilise par manque de formation et d’explications justement auprès des salariés, ce qui est un peu dommage. Et donc, je vous invite vraiment à vraiment former tous les salariés et à faire des piqûres de rappel, quitte à avoir dans les Ehpad un peu des référents sur du matériel, de désigner des personnes qui vont bien expliquer, et au quotidien, parce que la prévention, ce sont des rappels quotidiens de comment on utilise bien les équipements de travail.

Dernier point sur les formations, c’est pour les nouveaux entrants. Là, on vous invite aussi à mettre en place tout un processus de formation des nouveaux entrants. Même si la réglementation vous impose de mettre en place une formation appropriée, je vous invite vraiment à travailler sur le sujet, voire par des systèmes de tutorat ou des systèmes de formation spécifiques vraiment particuliers.
Autre point, c’est le document unique d’évaluation des risques. Malheureusement, on constate encore des évaluations qui ne sont pas vraiment exploitées ou des grilles remplies, on coche une case « oui » ou « non » sur un recto verso. Je ne sais pas ce qu’on en fait après exactement. Donc, vous avez cette obligation de faire un inventaire des risques identifiés et de mettre en place les mesures existantes ou programmées. Nous, ce qui est important, c’est qu’il y ait un plan d’action. Bien entendu, vous ne pourrez pas vous lancer dans toutes les actions, mais de prioriser les actions. Quand on visite un établissement, c’est vrai qu’on demande le document unique, mais on vous demande quelle est l’action qui a été mise en place pour l’année par exemple ou sur deux ans, comment vous envisagez la programmation des mesures de prévention.Ensuite, il y a un certain nombre d’outils, je vous invite à regarder les outils au niveau de l'INRS, sur la prévention des risques professionnels.

Autre point important qui concerne le secteur des Ehpad, c’est une recommandation au niveau national de la Cnam, la recommandation R471, qui a été aussi votée par les partenaires sociaux. Cette recommandation, elle se nomme « Prévention des TMS dans les activités d’aide et de soins en établissement ». Je dirais que pour nous, les préventeurs de la Cramif, c’est le document que l’on a systématiquement avec soi quand on visite vos établissements. Qu’est-ce qu’on vous demande dans cette recommandation ? On vous demande d’évaluer le degré d’autonomie des résidents, c’est-à-dire d’évaluer le niveau de dépendance, qu’elle soit forte, totale ou partielle, c’est d’analyser les situations de travail avec transfert et/ou mobilisation, et c’est ensuite de mettre en place des actions, mises à disposition d’aides techniques ou de formations particulières telles que les formations PRAP2S. Il y a toute une méthodologie, une annexe qui vous explique comment mettre en place cette évaluation. Vous devez l’avoir, vous, par vos dispositifs informatiques.
L’objectif, c’est bien entendu de supprimer toutes les manutentions pondérales. Il n’est plus acceptable maintenant de porter des personnes. On comparait au secteur du BTP, je vous assure qu’ils ont fait énormément d’efforts. Nous, on se permet encore de porter des personnes de 50, 60 kg, ça ne doit plus se faire, je vous le dis. Réduire les efforts et améliorer les postures lors des manutentions subpondérales. Là, quand on doit soulever une partie du corps, il faut réduire au maximum et bien entendu, développer les manutentions non pondérales par l’ALM. Là, je ne vais pas épiloguer très longtemps sur l’ALM parce qu’on va beaucoup en parler ensuite après la pause sur la démarche ALM qui s’appelle accompagner la mobilité. Elle a pour objectif de prévenir l’exposition des risques de troubles musculosquelettiques et aux chutes liées au portage des résidents. Vous avez une petite brochure dans votre pochette sur ce point, mais vous aurez un peu plus d’explications tout à l’heure.

Autre point important dans le secteur des Ehpad, il existe un guide de conception et rénovation des Ehpad. L’objectif, c’est de pouvoir intégrer la prévention des risques lors de la conception et la rénovation des Ehpad dès les phases de programmation, dès le cahier des charges initial. Il faut absolument que vous puissiez vous inspirer de ce guide et de pouvoir le mettre dans la demande initiale. On va parler d’équipements spécifiques, d’équiper les chambres de dispositifs de levage qui maintenant se fait assez bien, d’avoir des dispositifs de revêtement. Mais ensuite, vous avez toute une multitude de règles, des règles générales et des repères en particulier à certains locaux tels que les lingeries, le local restauration, la cuisine, les chambres et puis les différentes pièces. Donc, il y a un nouveau guide qui va apparaître normalement dans quelques semaines, on fera une communication avec l’INRS sur ce sujet, mais je vous invite vraiment à l’utiliser même dans le cadre de vos démarches d’évaluation des risques. Regardez vraiment ce qui est conseillé en termes de conception, ça peut vous aider à construire votre évaluation des risques.

Dernier point, il y a de nombreux outils de prévention sur le site de l’INRS, donc je vous invite vraiment aussi à consulter tout ce qui existe. Je sais aussi que certaines caisses régionales et certaines institutions ont des outils spécifiques, on en parlera encore cet après-midi.
Pour conclure, je vous dirais qu’on a vraiment tous les outils pour avancer, pour faire de la prévention dans les Ehpad. Vous verrez aussi qu’il y a un certain nombre d’institutions qui sont aussi présentes pour vous accompagner, pour vous aider, pour construire une démarche de prévention. Alors, vous n’hésitez pas à nous contacter, nous demander du conseil, on intervient sans aucun souci.
Donc, je vous remercie. Je vais laisser la parole à M. Fabien Fontenel sur la démarche de prévention des TMS.